Ils sont parfois comme chiens et chats, comme les meilleurs amis du monde, ou encore les deux à la fois. La vie au sein d’une fratrie n’est jamais un long fleuve tranquille. Selon les âges et les personnalités des enfants, elle peut être émaillée de chamailleries et de réconciliations.
Tantôt harmonieuses, tantôt conflictuelles, les relations fraternelles sont comme des montagnes russes. Elles font le sel de la vie en famille et permettent de se construire. Mais lorsque les disputes sont trop fréquentes, cela peut devenir problématique. « Ce sont souvent des relations fraternelles assez fusionnelles qui génèrent des conflits et des rivalités, constate Sabine Achard, psychologue de l’enfant et de l’adolescent à Manduel, dans le Gard. Mais la plupart du temps, frères et sœurs s’adorent. Ce qu’ils n’aiment pas, c’est partager leurs parents. » Car la jalousie, autrement dit le désir de posséder une personne pour soi et la crainte de la perdre au profit d’un rival, n’est jamais très loin. Quoi de plus difficile, en effet, que de devoir partager l’amour de ses parents ?
À la recherche de l’attention perdue
Lorsque Gabrielle* est née, Emma, quatre ans, semblait ravie, mais son comportement a changé. Elle ne voulait plus manger seule ni dormir dans son lit. Alors qu’elle était propre depuis plus d’un an, elle a aussi recommencé à faire pipi la nuit. « L’arrivée d’un second enfant est perçue par le premier comme une atteinte à son territoire, or il voudrait conserver toute l’attention des parents, explique la psychologue. Même s’il est encore très jeune et qu’il ne le perçoit pas intellectuellement, il le ressent et doit s’adapter. C’est la raison pour laquelle il arrive quelquefois que l’on voie une petite régression chez l’aîné, au niveau de la propreté ou de la prise des repas, par exemple, en particulier lorsqu’il n’y a que deux ou trois ans d’écart. »
Les enfants ont besoin d’être rassurés sur l’amour qu’on leur porte, mais le sentiment d’insécurité varie selon les personnalités. « Certains sont plus en demande, car ils ont toujours l’impression que les parents préfèrent leur frère ou leur sœur », confirme Sabine Achard, qui poursuit : « La différence, aussi, c’est que l’aîné n’avait, jusqu’à l’arrivée du second, personne devant lui. Il a donc évolué à son rythme et agi sans trop d’analyse. Alors que le cadet, lui, observe davantage le fonctionnement des parents, ce qui entraîne parfois un léger décalage. Bien que ces derniers élèvent strictement de la même façon les deux enfants, ceux-ci réagiront différemment, car les personnalités et les places dans la famille ne sont jamais identiques. »
Même si les tiraillements sont plus fréquents lorsque les naissances sont rapprochées, ils peuvent aussi se produire quand il y a un plus grand écart d’âge. « À partir de 7 ans de différence, on parle d’enfant unique, précise la spécialiste. À cet âge-là, les parents ont répondu à toutes ses attentes, et l’on remarque par conséquent qu’il y a moins de conflits. Mais tout dépend de l’éducation, de la place qui est accordée à chacun. » Il est important, notamment, de mettre sur un pied d’égalité les garçons et les filles, de ne pas jouer sur la rivalité de genre.
Un sentiment d’admiration
Dans une fratrie, l’aîné jouit toutefois d’une certaine aura. « Il fait souvent figure de super héros aux yeux du plus jeune », indique Sabine Achard, qui ajoute : « Je lui dis alors : ton petit frère (ou ta petite sœur) veut faire tout ce que tu fais, il veut avoir tout ce que tu as. Quand il est arrivé dans votre famille, il y avait un super héros, donc il veut être comme toi. Et là, il me regarde et il fait : « pff ! » »
Si les parents ont le sentiment qu’une dispute va trop loin, ils peuvent intervenir et laisser les enfants quelques instants chacun de son côté. La plupart du temps, cela suffit à régler le conflit. « L’erreur à éviter, c’est d’en punir un plutôt qu’un autre », insiste la psychologue, qui conseille en outre de réserver, dans la mesure du possible, « des petits moments pour chaque enfant, afin que les parents puissent les voir dans leur singularité ». « Pendant longtemps, la fratrie était considérée comme une entité. Nous savons aujourd’hui qu’elle est constituée d’individus », ajoute-t-elle. Quant aux familles recomposées, les mêmes règles doivent s’appliquer pour tous. « On peut différencier en fonction des âges, mais il ne faut pas que l’un ait le droit de manger ce qu’il veut et l’autre pas. Cela engendre des conflits entre les enfants mais aussi dans le couple », avertit la psychologue.
Les comparaisons qui tuent
Les disputes et les petites jalousies, banales entre frères et sœurs, participent à la consolidation des liens familiaux, car l’amour se construit petit à petit. Il existe cependant des comportements exagérés. Isabelle, issue d’une fratrie de cinq enfants, se souvient par exemple que sa mère était obligée de mesurer avec précision les doses de sirop qu’elle versait à chacun d’entre eux afin qu’aucun ne se sente lésé. « Cela peut arriver, admet Sabine Achard, mais c’est souvent un enfant en particulier qui induit cette attitude, et les autres suivent. »
Que ce soient des tâches collectives ou des jeux, partager des choses ensemble, c’est ce qui permet de se sentir frères. Mais les parents doivent-ils pour autant s’efforcer à tout prix d’être équitables ? « Surtout pas, répond Sabine Achard. Si les parents achètent une paire de chaussures à un enfant parce que c’est nécessaire, ils ne doivent absolument pas se sentir obligés d’en acheter pour tous. Il faut simplement expliquer que les besoins ne sont pas identiques au même moment. »
On l’aura compris, un enfant ne ressemble à aucun autre. Il en va de même pour les résultats scolaires. « Dans une même famille, on peut très bien avoir deux enfants qui, à dix ans, n’ont pas du tout le même niveau, note Sabine Achard. L’un peut être un excellent élève quand l’autre connaît des difficultés. Mais cela peut évoluer ensuite. » La psychologue recommande par conséquent de « toujours prendre en considération la personne, d’éviter les remarques blessantes du type : « Au même âge, ton frère était meilleur que toi » ou « Tu devrais faire comme ton frère ou ta sœur » ». Il est important également que chacun puisse avoir ses propres loisirs ou activités.
Les réussites des uns et les échecs des autres ravivent les anciennes blessures, les injustices que l’on a pu subir. « En raison de certaines jalousies, j’ai connu des adultes qui n’avaient voulu avoir qu’un seul enfant pour éviter que cette situation se reproduise », révèle Sabine Achard, psychologue de l’enfant et de l’adolescent en région Occitanie. Quand il y a eu de gros dysfonctionnements familiaux, lorsque les parents ont vraiment fait des différences, il peut alors y avoir des cassures dans la relation familiale, c’est-à-dire plus aucun contact, plus aucun lien entre frères et sœurs. » Le choix de couper les ponts avec un frère ou une sœur parce qu’on lui reproche d’avoir été le chouchou est souvent mal vécu par celui qui est rejeté, car il n’est pas responsable de cette situation.
Concernant les jumeaux, l’image d’Épinal est celle d’un duo soudé, pourtant ce n’est pas toujours le cas. Xavier et Victoria sont nés il y a 16 ans. Si ces jumeaux font bloc dans l’adversité, dans la vie quotidienne, ils ne s’entendent pas et se chamaillent sans cesse. Chacun à son tour ayant rencontré des difficultés à l’école, leur mère les a séparés dès la primaire. « Cela leur a permis de mieux s’épanouir, car je me suis aperçue que la personnalité de Victoria avait tendance à étouffer celle de Xavier », témoigne-t-elle. Il est en effet important d’aider les jumeaux à développer leur propre personnalité. Il est par exemple aujourd’hui admis, contrairement au passé, de ne pas habiller les jumeaux de manière identique. C’est souvent dans le regard des autres que se construit l’identité, or ils n’ont pas forcément les mêmes goûts. Afin de les différencier, il ne faut pas non plus les inscrire aux mêmes cours de sport ou aux mêmes hobbys. On doit aussi les appeler chacun par leur prénom et non pas « les jumeaux ». S’il n’est pas indispensable de les séparer dès la maternelle, on considère en revanche qu’il peut être bénéfique de ne pas les mettre dans la même classe dès l’école primaire.
*Tous les prénoms ont été changés.